Le 20 juillet, les députés Johnny Hajjar et Guillaume Vuilletet, respectivement rapporteur et président d’une commission d’enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales ultramarines,

ont présenté leurs conclusions à la presse. Après cinq mois de travaux, ils réclament « un plan de déchoquage économique et social » et lisent 68 propositions.

« Aujourd’hui débute une étape importante pour les peuples et territoires d’Outre-mer » a déclaré Johnny Hajjar, député de la Martinique (Socialistes et apparentés (membre de l’intergroupe NUPES) lors d’une conférence de presse organisée à l’Assemblée nationale le 20 juillet dernier. Il était venu présenter à la presse les conclusions de la commission d’enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la Constitution, déposées le jour même, sur le coût de la vie en Outre-mer, et non sur « la vie chère qui est une conséquence », dont il était le rapporteur.

Quelques mois plus tôt, le 9 février, l’Assemblée nationale avait voté à l’unanimité le principe de la création de cette commission portant sur la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, Mayotte, la Polynésie française, La Réunion, Saint‑Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon et les îles de Wallis et Futuna.

« Le choix de recourir à cet organe, ainsi que les circonstances de l’adoption de la résolution qui l’a créée, n’ont rien d’anodin. Mon collègue député de la Martinique, Johnny Hajjar, ainsi que le groupe Socialistes, ont voulu donner à ce travail une double dimension solennelle » a expliqué lors de la conférence de presse le député du Val d’Oise, Guillaume Vuilletet (Renaissance), qui présidait cette commission. « Une commission d’enquête a une charge symbolique forte et dote ses membres de prérogatives exceptionnelles. Le recours à un vote en séance publique, au lieu de l’usage du droit de tirage dont disposent les groupes d’opposition, permet de s’assurer que tous les bancs mesurent pleinement l’importance du sujet » a-t-il ajouté avant de rappeler que cette solennité avait également des conséquences pénales : le refus de déposer devant une commission d’enquête ou de lui fournir les documents utiles est passible de deux ans d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende ; le faux témoignage est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.

Pour le président de la commission il n’y a pas de doute : si elle a suscité une telle adhésion et si ses travaux ont été autant suivis, « c’est bien parce que la réalité de la vie chère en outre-mer est véritablement indiscutable ». La récente enquête de l’Insee n’a fait que chiffrer ce que les ultramarins constataient déjà : non seulement les prix restent plus élevés dans les départements d’outre-mer que dans l’Hexagone, d’un écart de 9 % à La Réunion à 16 % en Guadeloupe (et de 30 % à 42 % plus élevés en ce qui concerne l’alimentaire), mais en plus ces écarts ne font que s’accentuer au fil des années. « Cela n’a rien d’anodin dans des territoires où les taux de pauvreté pulvérisent les normes nationales. Il est clair que, pour ces populations en grande fragilité, l’impact d’une grande cherté des produits de première nécessité est d’une grande brutalité » commente Guillaume Vuilletet.

Menée pendant cinq mois, la commission d’enquête composée de 28 députés de tous bords, a consacré près de 70 heures pour conduire 49 auditions et entendu 125 personnes parmi lesquelles le précédent ministre délégué en charge des Outre-mer Jean-François Carenco, mais aussi Bruno Le Maire ou encore les dirigeants des groupes de la grande distribution. La commission d’enquête a également envoyé deux délégations en mission, à la Martinique et à Saint-Martin, puis à Mayotte et à La Réunion, où elles ont réalisé 33 entretiens et tables rondes. « Les moyens à la disposition d’une commission d’enquête et les délais impartis sont restés insuffisants au regard de l’ampleur des enjeux liés au coût de la vie Outre‑mer » regrette toutefois le rapporteur.

Minutieusement, cette commission a décortiqué les différents facteurs entrant en jeu dans la fabrication des prix. Il en ressort que certes le coût de la vie, supérieur à celui de l’Hexagone dans les territoires ultramarins est d’abord historique. Il résulte notamment de l’insularité elle-même (et de la quasi insularité pour la Guyane) dont les conséquences sont multiples (éloignement, étroitesse du marché…), d’une politique coloniale obligeant ces territoires à être dépendants de la « métropole » pourtant si éloignée plutôt que de développer des échanges commerciaux dans leur environnement géographique. « Dépendants, car 80 % de l’approvisionnement de la distribution provient d’Europe et en particulier de l’Hexagone : afin d’accéder à un modèle de consommation largement calqué sur le modèle hexagonal, les populations doivent recourir largement à l’achat de marchandises importées, au détriment d’une production locale qui peine à exister et à être rentable, sauf notamment à La Réunion, où l’organisation des filières permet de développer une agriculture permettant aux producteurs de vivre et aux consommateurs d’acheter local » précise le rapporteur qui qualifie les peuples d’Outre-mer de « captifs ».

« Captifs, car cette grande distribution est aujourd’hui sur la voie d’une concentration croissante entre quelques grands groupes qui maîtrisent la totalité de la chaîne logistique et les méthodes et savoir-faire permettant d’acheminer les marchandises vers les territoires ultramarins. Sans réaction des autorités chargées de garantir la concurrence et les droits des consommateurs, ils concentrent leur emprise sur les territoires ultramarins en rachetant les entreprises afin de constituer des groupes intégrés horizontalement et verticalement, qui maîtrisent toute la filière et sont en situation d’oligopoles de fait, notamment pour l’approvisionnement en gros de certains produits. En s’appuyant sur les enquêtes réalisées dans les territoires ultramarins, le rapporteur montre qu’ils sont, dans un grand nombre de secteurs, en capacité de déterminer les prix du marché, sur lesquels leurs concurrents ne peuvent que s’aligner, en l’absence d’alternative pour s’approvisionner » poursuit-il. Et de dénoncer les manquements de l’État quant à son rôle d’arbitre notamment vis-à-vis du droit à la concurrence, mais aussi en matière de dotations aux collectivités territoriales. C’est pourquoi il appelle l’État à un « plan de déchoquage économique et social en faveur des Outre‑mer : lorsque le patient est en état d’arrêt cardiaque, il n’est plus temps de prendre des mesures palliatives. Il faut que l’État, en partenariat avec les collectivités et les forces vives locales, mette en place un grand plan d’investissement productif, comportant des moyens financiers exceptionnels pendant au moins une décennie, afin de susciter un choc d’activité, de créer de la confiance et d’inciter les initiatives privées à investir, afin d’accroitre le niveau de vie des peuples des territoires ultramarins et de réduire durablement les inégalités entre l’Hexagone et les territoires dits d’outre‑mer » plaide le rapporteur.

La commission sénatoriale liste donc 68 propositions que Johnny Hajjar a présenté comme non exhaustives du fait de la diversité des territoires. « C’est une sorte de pot commun dans lequel chaque territoire irait puiser ce qui l’intéresse en fonction de la volonté des peuples et des territoires ».

Voici parmi ces propositions, les vingt que la commission considère comme prioritaires :

Proposition n° 4 : Engager une négociation avec les grands groupes de distribution ultramarins, devant aboutir dans un délai de douze mois, afin d’obtenir une baisse de l’ordre de 10 à 20 % des prix sur la majorité de leurs références, par diminution des marges de l’ensemble des acteurs de la chaîne de distribution.

Proposition n° 10 : Passer d’une logique de maîtrise volontaire des prix à une logique de réglementation des prix des produits de première nécessité, afin d’en abaisser significativement leurs prix.

Proposition n° 35 : Organiser dans les douze mois dans chaque territoire ultramarin des États généraux du coût de la vie et du pouvoir d’achat Outre-mer.

Proposition n° 50 : Rétablir les plafonds de la réduction d’impôt sur le revenu pour les contribuables domiciliés dans les départements d’Outre-mer.

Proposition n° 36 : Simplifier les procédures et raccourcir les délais d’instruction pour les financements et subventions aux TPE et PME.

Proposition n° 39 : Réformer les règles d’attribution des fonds du Posei afin de les conditionner notamment à un critère de diversification de la production locale au service de l’autonomie alimentaire et non uniquement de développement des filières d’exportation.

Proposition n° 40 : Accompagner les petits producteurs dans leur regroupement au sein d’organisations professionnelles administrées de façon démocratique et solidaire et libérées de l’emprise des grands groupes et des gros producteurs.

Proposition n° 52 : Créer un dispositif de ports francs et de zones franches globales dans les départements et régions d’outre-mer, exonérant temporairement (pendant une décennie) de cotisations sociales et de prélèvements fiscaux les emplois créés par les TPE et PME dans les secteurs créateurs de valeur ajoutée.

Proposition n° 53 : Conditionner les aides à l’embauche, dans le cadre des zones franches globales ou de tout autre dispositif favorisant les embauches, au recrutement de résidents du territoire ultramarin concerné.

Proposition n° 56 : Appliquer aux Outre-mer le dispositif de continuité territoriale et le dispositif de financement afférent actuellement en vigueur en Corse.

Proposition n° 51 : Affecter les recettes de TVA de chaque département d’outre-mer concerné (Guadeloupe, Martinique, La Réunion) aux ménages modestes sous la forme d’une allocation spécifique et conditionnée ne pouvant être dépensée qu’en achats de services et de produits issus des circuits courts.

Proposition n° 59 : Mettre en place une priorité d’affectation dans leur territoire d’origine pour les lauréats des concours de la fonction publique dont le centre des intérêts matériels et moraux se situe dans ce territoire ultramarin.

Proposition n° 61 : Majorer les prestations sociales légales versées Outre-mer d’un complément représentant le différentiel du coût de la vie observé dans l’Hexagone et organiser leurs versements automatiques, notamment dans les territoires ultramarins.

Proposition n° 63 : Financer la prime de vie chère des salariés du secteur privé par la création d’une taxe sur les profits des grandes entreprises opérant dans les Outre-mer.

Proposition n° 64 : Organiser par l’État et les collectivités territoriales une conférence sociale réunissant représentants des salariés et des employeurs ultramarins, afin de fixer le principe d’une augmentation significative des salaires ultramarins de l’ordre de 20 %.

Proposition n° 1 : Compléter le dispositif prévu par la loi Lurel en interdisant aux établissements bancaires de pratiquer des tarifs supérieurs dans les territoires ultramarins aux tarifs pratiqués dans n’importe quelle région de l’Hexagone pour les mêmes prestations.

Proposition n° 41 : Mettre en œuvre la proposition du préfet de la Martinique et du Président du conseil exécutif de Martinique permettant de concentrer l’aide de CMA CGM sur les produits de première utilité sociale.

Proposition n° 55 : Expérimenter, pour une durée limitée, un dispositif de compensation intégrale des coûts d’acheminement pour les produits de première nécessité.

Proposition n° 68 : Envisager le transfert aux collectivités ultramarines qui le souhaitent de l’ensemble des pouvoirs normatifs, y compris fiscaux, nécessaires au développement économique et social: aménagement du territoire, transport, énergie, écologie, régulation économique, échanges commerciaux, développement économique, aides et subventions, continuité territoriale, ainsi que la fiscalité afférente.

Proposition n° 47 : Développer des filières d’industries de transformation ayant vocation à exporter des produits manufacturés localement.

(Par Fanny Fontan)