« Pour moi, c’est une grande dame qui s’en va» : comme beaucoup de Guadeloupéens, Florence Démocrite a été très touchée par le décès dans la nuit de lundi à mardi de l’écrivaine Maryse Condé, qui a suscité une avalanche d’hommages sur son île natale. « Quand je lisais ses livres, je voyais parfaitement ce qu’elle racontait.

La Guadeloupe, mon enfance, ma mamie. Et je me retrouvais parfaitement dans son récit africain puisque moi aussi, mon époux est originaire de ce continent », poursuit cette professeure d’histoire-géographie de 58 ans.

Sans compter son « engagement féministe et humaniste », un « modèle » à suivre et une source d’inspiration pour les « femmes que nous sommes », souligne l’enseignante.

Politiques, culturels ou militants, depuis l’annonce du décès de l’autrice à l’âge 90 ans, la Guadeloupe résonne d’une longue litanie d’hommages pour l’écrivaine, mais aussi pour l’activiste et indépendantiste aux positions tranchées.

Tôt mardi matin, les radios locales ont accordé une large place à l’écrivaine, montant des émissions spéciales et invitant les Guadeloupéens à réagir.

Lue dans les collèges et les lycées de Guadeloupe, l’écrivaine jouissait d’une réputation intouchable, surtout depuis qu’elle avait reçu « le nouveau prix de littérature » en 2018, substitut du Nobel institué par la Nouvelle académie en réaction à la déferlante #MeToo.

« C’était une grande dame, j’écoutais ce qu’elle disait à la radio », explique Josy Monpierre, un quinquagénaire vendeur de chaussures dans le centre de Pointe-à-Pitre, qui concède toutefois n’avoir jamais lu un ouvrage de l’écrivaine.

« Maintenant qu’elle est décédée, on va peut-être s’y mettre », complète un peu plus loin Colette, qui souhaite rester anonyme et fait des mots fléchés dans sa voiture, devant l’immeuble de naissance de Maryse Condé situé à quelques encablures de la place de la Victoire.

– Grand public –

La bâtisse aux murs bleu-gris et blanc, au balcon bordé d’une balustrade en fer forgé encore fièrement dressée dans une rue qui compte beaucoup de bâtiments délabrés, a été agrémentée fin mars d’une plaque commémorative lors d’une journée dédiée à l’autrice.

« L’idée, c’était de faire de la médiation pour transmettre l’oeuvre au grand public de Guadeloupe, et pas seulement aux férus de littérature », explique Georges Brédent, adjoint au maire de la sous-préfecture guadeloupéenne.

Maryse Condé nourrissait pourtant une relation complexe avec son île natale.

« Les Guadeloupéens ne me considèrent pas comme une vraie Guadeloupéenne », affirmait l’écrivaine en 2013, dans un entretien à la revue Hommes et Migrations.

« Ils se demandent pourquoi une personne qui a vécu tant d’années en Afrique et tant d’années aux Etats-Unis, et qui a finalement peu vécu aux Antilles, ne se définit que comme Guadeloupéenne ».

Dans un communiqué, le préfet de Guadeloupe Xavier Lefort a salué une « femme révoltée » qui « laisse en héritage une œuvre traversée par les combats antiracistes », rejoignant d’autres hommages saluant l’engagement de celle qui a reçu la Grand-Croix de l’ordre du Mérite en 2020.

« En tant que patriote et militante indépendantiste de longue date, Maryse Condé a consacré sa vie à la promotion de la culture et de l’identité guadeloupéenne », a par exemple rappelé Jean-Jacob Bicep, secrétaire général du parti indépendantiste Union populaire pour la libération de la Guadeloupe, dont Maryse Condé était « membre émérite ».

Dans une des librairies indépendantes de l’archipel, installée dans une zone commerciale, on s’attend à un petit afflux des ventes, confie Anne, la libraire.

Dès mardi matin, la table qui met en valeur les livres d’actualité a été garnie des romans-phares de Maryse Condé aux côtés de ceux d’un autre auteur, Frédéric Pichon, très reconnu localement pour ses livres jeunesse et décédé fin mars dans la plus grande discrétion.

Amandine Ascensio