Suite à une requête des Républicains, le Sénat a lancé une commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier le 8 novembre dernier. Deux sénatrices ultramarines comptent parmi les membres de cette commission. Les Antilles-Guyane sont en effet au cœur du narcotrafic international.

« 27,7 tonnes : c’est la quantité de cocaïne saisie en France en 2022, soit cinq fois la quantité saisie dix ans plus tôt, témoignant de l’intensification du trafic. En parallèle, les réseaux de narcotrafic deviennent de plus en plus violents : à titre d’illustration, selon le parquet de la cité phocéenne, 44 personnes sont décédées à Marseille dans le cadre des règlements de comptes, entre le début de l’année et la mi-septembre 2023 – soit autant que sur toute l’année 2021 et pour toute la France » rapporte le Sénat qui souligne que ces chiffres sont inquiétants tant par leur importance que par leur croissance exponentielle. En outre, naissent d’autres préoccupations du fait notamment de l’extension du narcotrafic dans des zones jusqu’à présent épargnées : « dans certaines, on assiste à une véritable submersion ; dans d’autres, c’est un ancrage insidieux qui se développe chaque jour ».

« La réalité dramatique du narcotrafic impose de questionner la pertinence des modes d’action des pouvoirs publics et de mettre en lumière les nouveaux enjeux que pose le narcotrafic. Quelles sont les « nouvelles routes » d’entrée de la drogue en France ? Comment les trafics de stupéfiants se déploient-ils dans les villes moyennes et les communes rurales ? Quel rôle jouent les outils numériques (commandes par Internet, cryptoactifs, messageries cryptées, etc.) dans la structuration du narcotrafic en France ? Quels sont les nouveaux modes de fonctionnement des réseaux de narcotrafic ? Et surtout : quels sont, au vu de ces évolutions, les moyens de lutte les plus efficaces, les plus opérationnels et les plus pertinents pour combattre le narcotrafic ? » questionnent les sénateurs.

Afin de répondre à ces nombreuses interrogations, le groupe Les Républicains a souhaité la création d’une commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier. « Le trafic de stupéfiants ne cesse de gagner du terrain et s’implante, au fil des mois, dans de nombreuses communes de France, des petites villes rurales aux grandes métropoles. Le trafic de drogue alimente délinquance de proximité et grand banditisme. Selon Stéphanie Cherbonnier, Cheffe de l’Office français anti-stupéfiants (OFAST), « 80% des règlements de comptes sont liés au trafic de stupéfiants ». Il existerait en France près de 4 000 points de transaction selon le ministère de l’Intérieur. 2022 a été une année record, et ce sont près de 157 tonnes de produits stupéfiants qui ont été saisies par les autorités françaises. Une année record qui démontre que la production, l’offre et la demande augmentent. Le narcotrafic a des répercussions en termes d’insécurité, d’économie parallèle, de financements illégaux, d’interconnexions internationales et de santé publique. Ces éléments justifient la demande de constitution d’une commission d’enquête qui devra déterminer la véritable ampleur de ce phénomène et la place du narcotrafic dans l’écosystème de la criminalité, de traiter ses conséquences sur la sécurité en France et de proposer un ensemble de mesures destinées à lutter contre ce trafic » écrivaient Bruno Retailleau, sénateur de la Vendée (Pays de la Loire) et président du groupe Les Républicains au Sénat, et plusieurs de ses collègues dans un texte déposé au Sénat le 23 octobre dernier.

Cette commission, lancée en séance publique le 8 novembre 2023, achèvera ses travaux au début du mois de mai 2024. Elle s’est réunie le 21 novembre 2023 pour constituer son bureau et lancer ses travaux.

C’est Jérôme Durain (Socialiste, Écologiste et Républicain – Saône‑et‑Loire) qui préside désormais cette commission, et Etienne Blanc (Les Républicains – Rhône), qui en est le rapporteur. Valérie Boyer (Les Républicains – Bouches-du-Rhône), Stéphane Le Rudulier  (Les Républicains – Bouches‑du‑Rhône), Marie-Arlette Carlotti (Socialiste, Écologiste et Républicain – Bouches-du-Rhône), Olivier Cadic (Union Centriste – Français établis hors de France), Franck Menonville (Union Centriste – Meuse, Marie-Laure Phinera-Horth (Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants – Guyane), Ian Brossat (Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky – Paris), Vanina Paoli-Gagin (Les Indépendants – République et Territoires – Aube), Guy Benarroche (Écologiste – Solidarité et Territoires – Bouches-du-Rhône) et Michel Masset (Rassemblement Démocratique et Social Européen – Lot-et-Garonne) en sont les vice-président(e)s.

Les Antilles et la Guyane au cœur du narcotrafic international

On peut noter la présence au bureau d’une élue ultramarine, Laure Phinera-Horth, mais aussi parmi les membres de cette commission, la sénatrice de la Martinique Catherine Conconne « Groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ». Cette dernière s’en réjouissait le 9 novembre dernier dans un communiqué. « Ce mercredi 8 novembre 2023, le Sénat a officialisé la mise en place d’une Commission d’enquête sur le narco-trafic.
Ma candidature pour y participer a été acceptée et je m’attacherai à m’impliquer à ses travaux avec détermination. Élue locale depuis 23 ans et directement en charge entre autres des politiques publiques liées à la sécurité et la lutte contre la délinquance à Fort-de-France, j’ai pu mesurer l’ampleur des dégâts générés par cette problématique dans notre pays. La Martinique, la Guadeloupe et la Guyane sont plus que jamais devenues les portes d’entrée du trafic de drogues en France et en Europe, et il est essentiel que les travaux de cette Commission prennent en compte la réalité vécue par nos territoires, analysent ces situations, et proposent des solutions pour juguler au mieux ces phénomènes aux conséquences dramatiques. Je ne manquerai pas de communiquer régulièrement sur ses avancées et ses conclusions » déclarait-elle.

En effet, les Antilles et la Guyane ont une place majeure dans le narcotrafic. « Les départements d’outre-mer (DOM) situés dans la mer des Caraïbes (ou mer des Antilles) – la Guadeloupe et la Martinique −, de même que la collectivité d’outre- mer, Saint-Martin sont depuis une trentaine d’années affectés par les flux du trafic international de cocaïne en provenance des trois pays produc- teurs d’Amérique latine (Pérou, Colombie, Bolivie). Ces départements ont été touchés, dans un premier temps, en devenant des zones de consommation importante de cocaïne basée (crack) à la fin des années 1980, puis, au fur et à mesure que le trafic international se réorientait vers l’Europe, des zones-rebond de la cocaïne. Aujourd’hui, la Guadeloupe et la Martinique sont devenues notamment des plates- formes de stockage de la cocaïne destinée à l’Europe occidentale et, compte tenu des liens avec la métropole, du marché français, tandis que la Guyane semble de plus en plus affectée par le trafic international. Ce DOM a en effet une frontière commune avec le Brésil, pays où la consommation de cocaïne et de crack se déve- loppe fortement, tandis que sa façade maritime donnant sur l’Atlantique en fait un lieu de transit idéal pour la cocaïne destinée à l’Europe. Le territoire de Saint-Martin se caractérise, quant à lui, du fait de son statut de paradis fiscal, au moins pour sa partie hollandaise, comme une zone de blanchiment de l’argent et notamment celui de la drogue. Cette situation s’inscrit dans un contexte régional qui voit la mer des Caraïbes retrouver la place de premier plan qu’elle occupait dans le transit de la cocaïne dans les années quatre-vingt. Une époque, en effet, où les cartels colom- biens, qui dirigeaient le trafic, investissaient dans l’achat de terrains, voire d’îles entières, susceptibles d’abriter des pistes d’atterrissage, notamment dans l’archi- pel des Bahamas. Il semble aujourd’hui que les mesures de sécurité prises en Amérique centrale, et notamment au Honduras, pour entraver le trafic aérien, favo- rise, par un effet de déplacement bien connu des services répressifs − l’effet ballon (balloon effect) − le passage par les îles antillaises , via le Venezuela. Ainsi, à l’heure actuelle, selon des estimations de l’OCRTIS, 20 % des 250 à 300 tonnes de cocaïne destinées au marché européen transiteraient par la mer des Caraïbes » expliquait en introduction de sa note intitulée « Les Antilles françaises (Martinique, Guadeloupe, Saint-Martin) et la Guyane au cœur du trafic international de cocaïne » (OFDT – pôle TREND) publiée en 2014 , Michel Gandilhon, chercheur spécialiste des trafics de drogues et membre du conseil d’orientation scientifique de l’Observatoire des criminalités internationales (ObsCI).

Un encadré y était consacré à Saint-Martin « Dans les années 1990, du fait d’une situation géographique favorable, l’île est devenue une plaque tournante du trafic régional de la cocaïne destinée à l’Europe et aux États-Unis. Elle était également un centre de réexpédition du crack en direction des Antilles françaises, surtout de la Guadeloupe. L’île est devenue au fil des ans une destination touristique importante, ce qui a suscité un boom économique dans le secteur de l’immobilier, lequel aurait été largement alimenté par l’argent de la drogue. En outre, l’île est un point de rencontre des trafiquants de cocaïne pour les négociations de contrat. S’agissant de la par- tie hollandaise, également dénommée Saint-Martin (Sint-Maarten), qui constitue un des quatre États qui forment le royaume des Pays-Bas, son statut de paradis fiscal en fait un lieu de blanchiment, via un système bancaire pléthorique et une puissante industrie des jeux, contrôlé par le crime organisé de l’argent de la cocaïne » ».